19 Juin 2008

 

Responsabilité UE pas la crise alimentaire:

la dérégulation de l'agriculture et du commerce ne résoudra pas la crise alimentaire

 

Lettre à des ministres du commerce, de l'agriculture, du développement, de l'énergie et/ou de l'environnement des Etats membres de l'Union européenne


A l'attention:
- des ministres du commerce, de l'agriculture, du développement, de l'énergie et/ou de l'environnement des Etats membres de l'Union européenne
- des Parlementaires européens
- des Parlementaires nationaux des Etats membres de l'Union européenne

Copie:
- Au Commissaire européen au Commerce, Peter Mandelson
- Au Commissaire européen à l'agriculture, Marianne Fischer Boel
- Au Commissaire européen au développement, Louis Michel
- Au Commissaire européen à l'énergie Andris Piebalgs
 
 

Objet : La poursuite de la libéralisation et de la dérégulation de l'agriculture et du commerce ne résoudra pas la crise alimentaire; il est temps de proposer de nouvelles
solutions
 

Madame, monsieur,

La planète est dans une situation de crise alimentaire structurelle. Des millions de personnes n'ont plus les moyens d'accéder à la nourriture dont ils ont besoin, ce qui aggrave encore les niveaux déjà inacceptables de faim et de malnutrition que nous connaissions.

Des mesures d'atténuation à court terme ne feraient que repousser temporairement les effets de politiques qui sont fondamentalement destructrices. La crise actuelle des prix alimentaires est le résultat de trois décennies de dérégulation des marchés agricoles, de politiques agricoles qui ont privilégié l'agro-industrie au détriment d'agricultures familiales durables, et des programmes d'ajustement structurel qui ont démantelé les soutiens publics à la production alimentaire dans les pays en développement, en Afrique plus particulièrement 1;

L'Union européenne porte une responsabilité majeure dans la crise actuelle:

- Le caractère insoutenable de sa Politique agricole commune a eu des impacts désastreux, pendant des années, sur les capacités productives des pays en développement et a empêché l'accès de leurs paysans aux marchés locaux, ce qui a contribué à rendre ces pays dépendants des importations de produits alimentaires ;
- Sa politique de commerce extérieur cherche constamment à plus d'ouverture commerciale des pays en développement à travers les négociations en cours à l'OMC ou via la multiplication d'accords bilatéraux et régionaux de libre-échange;
- Ses programmes de coopération incluent la promotion de modèles de production intensive et mécanisée, sur le modèle de la Révolution Verte, qui a accru la dépendance des petits producteurs à l'égard des cours du pétrole, extrêmement volatiles et en hausse continuelle 2;
- Elle prête une oreille complaisante au lobby de l'agrobusiness, accroissant ainsi l'emprise des multinationales sur le système alimentaire mondial

Les mouvements sociaux et les organisations de la société civile signataires sont profondément préoccupées par les propositions de la Commission européenne dans la perspective de répondre à la crise en cours.

Une plus grande dérégulation de la production alimentaire et du commerce, ou le maintien des objectifs des 10 % d'agrocarburants, (qui sont réaffirmés dans les propositions de réponse de l'Union européenne devant être discutées lors du prochain Conseil les 19 et 20 juin prochains), ne constituent en aucun cas la réponse.

Ces propositions ne vont pas résoudre la crise alimentaire pour les raisons suivantes:

1. Les accords multilatéraux, régionaux ou bilatéraux de libre-échange promeuvent une libéralisation qui aggrave la volatilité des prix alimentaires, conduisant à une dépendance accrue à l'égard des marchés internationaux et à des investissements décroissants dans la production alimentaire locale 3. Les deux-tiers des pays en développement sont maintenant importateurs nets de produits alimentaires. Or, comme le suggérait récemment Michel Barnier, Ministre français de l'agriculture 4: „si le libre-échange avait réduit la faim dans le monde cela se saurait“.
2. Des prix alimentaires à la hausse assurent d'énormes bénéfices aux secteurs de la grande distribution, de l'agro-alimentaire et aux cartels qui contrôlent le commerce agricole et alimentaire 5. Le cycle de Doha provoquerait plus de concentration des marchés et renforcerait la position des compagnies transnationales dans le secteur agricole.
3. La libéralisation commerciale ne s'attaque pas aux défis majeurs auxquels se trouve confronté le système alimentaire mondial, qui incluent : le changement climatique, l'épuisement des ressources naturelles, le quadruplement des prix du pétrole, le manque de compétition sur les marchés agricoles mondiaux en raison de son extrême concentration dans les mains de quelques grands groupes, la spéculation financière, l'expansion rapide de la production d'agrocarburants, qui est insoutenable, les violations massives du droit des peuples à l'accès à la terre et à l'eau.
4. Les propositions faites dans le cadre du Bilan de santé de la PAC, qui s'inspirent des mêmes politiques qui ont échoué, ne prennent pas la crise actuelle en considération. La Commission prend le risque que, sauf à gagner une plus grande légitimité sociale et environnementale, la PAC disparaisse de la scène à l'horizon 2013, au lieu d'être réformée en cohérence avec les besoins des paysans européens et des citoyens.
5. Le maintien de l'objectif de l'Union europeéen concernant les agrocarburants continuera d'augmenter la pression foncière et donnera un signal positif à la spéculation financière internationale, qui spécule sur l'alimentation.

Nous lançons un appel en faveur de politiques agricoles, alimentaires, énergétiques et commerciales qui stabiliseront la production et la distribution alimentaires afin de satisfaire la demande mondiale d'une alimentation saine, adaptée et accessible, et qui privilégieront le développement, l'emploi et la sécurité alimentaire. L'UE doit initier une réflexion de long terme quant aux défis que rencontre l'agriculture.

Nous croyons que, dans la perspective de progresser vers une solution réelle à la crise des prix alimentaires, la Commission européenne et les Etats membres doivent :

- Aider à la définition collective de règles commerciales qui soutiennent la souveraineté et la sécurité alimentaire dans les pays en développement. Cela implique une révision radicale de la politique de commerce extérieure de l'UE et un engagement à cesser d'imposer plus de libéralisation aux les pays en développement;
- Remettre en cause l'objectif mandataire concernant les agrocarburants à l'horizon 2020, et soutenir le développement de stratégies et de propositions visant la réduction globale des dépenses énergétiques et augmentant l'efficacité énergétique de tous les modes de transport -notamment l'amélioration des systèmes de transport public- et la promotion d'une régionalisation et d'une relocalisation des économies;
- Utiliser l'opportunité du Bilan de santé de la PAC en cours pour renforcer ou réintroduire des dispositifs de régulation qui aideront à stabiliser les prix agricoles dans l'intérêt des paysans et des consommateurs, et qui soutiendront une production socialement et environnementalement soutenable dans le domaine de l'alimentation, du textile et des carburants.
- Prendre l'initiative d'une régulation des marchés financiers, en particulier pour limiter les possibilités, pour les investisseurs institutionnels, d'investir sur les marchés agricoles.

Nous avons hâte de discuter ces propositions avec vous, et de voir l'Union européenne proposer de vraies solutions à la crise alimentaire mondiale.

1 Comme l'expliquent les représentants des producteurs ruraux et des organisations de la société civile réunis à Rome du 1er au 4 Juin derniers en parallèle de la Conférence de la FAO ; celle-ci a d'ailleurs souligné l'échec de la communauté internationale à prendre en charge la crise. Voir la déclaration finale „Terra Preta: Forum on the Food Crisis, Climate Change, Agrofuels and Food Sovereignty”.
2 Le FMI a confirmé que la demande croissante pour les agrocarburants explique „20 à 30 %” des augmentations récentes des prix des denrées alimentaires. Cette donnée est corroborée par l'Institution international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) qui estime à 30 % la contribution des agrocarburants au phénomène de hausse des prix. Les Conservateurs de la Commission estiment que l'objectif des 10% fixé par l'UE va conduire à entre 3 et 6 % d'augmentation des prix des céréales, ce qui pourrait se traduire par plus de 100 millions de personne de plus souffrant de la faim en 2020.
3 La libéralisation commerciale a érodé la capacité d'un grand nombre de pays en développement à se nourrir euxmêmes, par exemple le Mexique, le Bangladesh, l'Indonésie et le Mali. Le retrait des barrières tarifaires a conduit au dumping, via des productions hautement subventionnées qui, comme au Ghana, au Kenya, aux Philippines, en Jamaïque ou au Honduras, ont déferlé sur les marchés locaux et sapé la production alimentaire locale.
4 France Inter, « 7/9 », 31 May 2008
5  L'un des plus gros acteurs du commerce mondial de semences, Cargill, a annoncé en avril 2008, en pleine crise alimentaire, que ses profits, en croissance de l'ordre de 75%, étaient montés de 86 % à un montant de 1,03 Milliards $. Bunge a vu ses bénéfices, au cours du dernier trimestre 2007, augmenter de 77% par rapport à la même période en 2006. Les bénéfices de Archer Daniel Midland's (ADM's) ont augmenté de 65 % en 2007.

Recevez, madame, monsieur, l'expression de notre haute considération,

Les organisations signataires

1 ActionAid International International
2 Afrique-Europe Foi & Justice Network International
3 Aitec France
4 Association for the Development of the Romanian Social Forum Romania
5 Attac Austria Austria
6 Attac France France
7 Attac Maroc Maroc
8 Campania per la Riforma de la Banca Mondiale Italy
9 CPE – European Farmers coordination/Coordination Paysanne Européenne Europe
10 Center for Encounter and active Non-Violence Austria
11 Coalition of the Flemish North-South Movement – 11.11.11 Belgium
12 Corporare Europe Observatory Netherlands
13 Crocevia Italy
14 Eccologistas en Accion Spain
15 Fair Italy
16 Food and Water Watch Europe Europe
17 Friends of the Earth England, Wales and Northern Ireland England, Wales and Northern Ireland
18 Friends of the Earth Europe Europe
19 Global Responsibility – Austrian Platform for Development and Humanitarian Aid Austria
20 Manitese Italy
21 OeIE-Kaernten Austria
22 RegenWald Germany
23 Solidariedad Imigrante Portugal
24 Soya Alliance United Kingdom
25 Terra Nuova Italy
26 Terre Contadine-Itali Africa Italy
27 Trade Watch Italy
28 Transnational Institute Netherlands
29 Via Campesina Austria Austria
30 Vredeseilanden Belgium
31 War on Want United Kingdom
32 Watch Indonesia! Working Group for Democracy, Human Rights and Environmental Protection in Indonesia and East Timor Germany
33 WEED - World Economy, Ecology & Development Germany
34 WIDE International
35 World Development Movement United Kingdom